« Poète ardent et peintre grand parmi les grands, il passa tel un météore : il fut tout grâce, tout colère, tout mépris. Son âme hautaine d’aristocrate flottera longtemps parmi nous dans le chatoiement de ses beaux haillons versicolores » Paul Guillaume (1891-1934)
« Lorsque je connaîtrai ton âme, je peindrai tes yeux » Modigliani (1884-1920)
Un peu plus d’un siècle après la rencontre entre les deux hommes en 1914, cette exposition se propose de revenir sur l’un des moments emblématiques de la vie d’Amadéo Modigliani (1884-1920), celui où le parisien Paul Guillaume (1891-1934) devient son marchand.
J’ai récemment eu l’immense plaisir de découvrir cette exposition qui se tient du 20 septembre 2023 au 15 janvier 2024 au musée de l’Orangerie à Paris. 54 œuvres majeures de l’artiste italien dont 3 sculptures racontent le parcours de l’artiste bohème. Histoire d’un jeune Italien d’origine juive qui arrive à Paris en 1906.
Un Italien à Paris
En 1906, Amadéo Modigliani a vingt-deux ans. Après avoir étudié le dessin à Florence et la couleur à Venise, le jeune homme, né à Livourne le 12 juillet 1884, découvre « le » Paris bouillonnant du début du XXe siècle, un environnement merveilleux pour un artiste en devenir. Cette année-là, le célèbre Salon d’Automne consacre une grande exposition posthume à Cézanne et Gauguin. L’influence de Cézanne sur Modigliani se révèlera fortement en 1917. Le peintre, affaibli par la tuberculose, s’installe dans le sud de la France et peint des gens du quotidien. Le « bleu Cézanne » est alors au cœur des œuvres de cette époque.
En 1908, le tableau « La juive » fait couler beaucoup d’encre au Salon des Indépendants. Une des premières œuvres de Modigliani qu’il vendra à son ami médecin et collectionneur Paul Alexandre en 1910.
Le peintre hésite encore entre différents courants de l’avant-garde. Paul Alexandre, son premier marchand, découvre cet artiste qui le touche profondément. Une vraie rencontre, des affinités profondes unissant les deux hommes. C’est la belle époque du Montmartre d’avant-guerre (La première guerre mondiale). Modigliani dessine énormément, habité d’une pulsion primaire et irrésistible qui le pousse à peindre et dessiner les êtres qui l’entourent. Partagé entre un énorme appétit de vivre et un grand sens de l’urgence, le peintre atteint de la tuberculose entre dans l’histoire de l’art grâce à ses portraits.
Après une période dédiée à la sculpture entre 1909 et 1914, il renoue avec la peinture et se consacre principalement à la représentation de la figure humaine.
Modigliani et son marchand Paul Guillaume
La rencontre du maître avec le jeune Paul Guillaume marque une nouvelle étape dans la vie artistique de Modigliani. Après le départ au front de son premier mécène, le marchand d’art Paul Alexandre en 1914, le peintre italien rencontre Paul Guillaume et fréquente avec lui les cercles artistiques et littéraires parisiens. Les deux hommes partagent des goûts communs pour la poésie, le bohème chic, les arts orientaux (Le marchand est en effet l’un des premiers à organiser des expositions d’art africain à Paris). Une vraie complicité s’installe entre eux. Une complicité que Paul Guillaume fera perdurer bien après la mort de l’artiste en 1920.
L’appartement-galerie du marchand est à cette époque couverte de toiles du peintre. Paul Guillaume l’encourage, tente de le faire connaître et de vendre ses œuvres.
Bon œil, ami de Guillaume Apollinaire qu’il rencontre en 1911, Paul Guillaume représente des artistes de renom parmi lesquels Chaïm Soutine, André Derain, Pablo Picasso, André Matisse, Kees Van Dongen.
Modigliani s’en inquiète, craignant que le jeune collectionneur ait moins de temps à lui consacrer. Il rencontre alors un marchand polonais de la rive gauche, Léopold Zwoboroski (Ecrivain, poète, marchand d’art). Un « galériste en appartement » proche de l’amateur d’art et mécène Roger Dutilleul (1872-1956). Ce dernier avait à cœur d’aider les peintres « maudits ». Il aime la vision atypique des portraits du maître italien. Son appartement regorge d’œuvres d’art. bon nombre d’entre elles sont signées Modigliani.
Paul Guillaume continue malgré tout à promouvoir et à diffuser les œuvres de Modigliani.
Ton devoir est de sauver ton rêve
Amadéo Modigliani est l’un des artistes les plus aimés du musée parisien qui conserve de manière permanente cinq chefs-d’œuvre, tous rassemblés par le marchand d’art Paul Guillaume. Le peintre en aurait réalisé quelques quatre cents au cours de sa courte vie. L’artiste est en effet décédé à Paris à trente-cinq ans.
Modigliani et ses modèles
C’est la figure humaine qui passionne le maître. Il dit « Lorsque je connaîtrai ton âme, je peindrai tes yeux ». Modigliani ne s’intéresse en effet pas au réalisme des visages mais à l’intériorité de ses modèles. Bourreau de travail, chercheur impénitent, le maître réalise de nombreuses esquisses au crayon avant d’exécuter ses portraits directement au pinceau. Lorsqu’on lui demande pourquoi il obstrue les orbites de ses modèles, il répond : « Avec l’un, tu regardes le monde et avec l’autre, tu regardes en toi-même ».
De Montmartre à Montparnasse
Figure emblématique de Montmartre et de Montparnasse, ce portraitiste atypique du Paris de la Belle Epoque et des Années Folles est mort dans la misère, avant d’atteindre son trente-sixième anniversaire. Après la Grande Guerre, pour survivre, Modigliani fait la manche dans les belles brasseries du quartier de Montparnasse. Les touristes qui finissaient par céder à ses sollicitations le prenait pour un clochard, lui, le maître du portrait, qui avait su sublimer, grâce à de savants mélanges de pigments, le grain de peau de ses modèles comme nul n’avait réussi à le faire avant lui…
Modigliani et ses muses
Béatrice Hastings, sa maîtresse
Modigliani rencontre cette femme aux multiples facettes – journaliste, romancière, mannequin, critique d’art – une influenceuse de l’époque en juin 1914. Durant ces deux années d’une relation amoureuse turbulente et tumultueuse, la belle anglaise influence l’œuvre de l’artiste qui sombre de plus en plus dans l’alcool et la consommation d’opium. De cette liaison, naîtront quatorze portraits. En 1916, Modigliani la quitte pour la jeune étudiante Jeanne Hébuterne.
Jeanne Hébuterne, sa compagne
Jeanne n’est pas seulement belle, elle est intelligente. Née à Meaux en 1898, Jeanne Hébuterne est, dès son plus jeune âge, plongée dans un climat artistique. Son frère André, peintre paysagiste, l’initie à la peinture. À quinze ans, elle est déjà une artiste brillante, largement influencée par Maurice Denis et son courant artistique Nabi. Modigliani, attiré par des femmes de lettres, des artistes romancières ou poétesses, tombe amoureux d’elle dès leur rencontre en 1917. Il est impressionné par le talent de la jeune femme qui étudie la peinture à l’Académie Colarossi. Surnommée « Noix de coco » en raison de son teint extrêmement pâle, Jeanne affiche une beauté toute particulière.
1917 marque aussi le déclin du maître. La tuberculose gagne du terrain. Les tourtereaux s’installent dans le Sud de la France. Jeanne est enceinte. Modigliani peint les gens du quotidien.
En novembre 1918, naît une petite fille, Jeanne Modigliani, initialement déclarée Giovanna Hébuterne.
L’état de santé de Modigliani ne cesse de s’aggraver. Il meurt à trente-cinq ans le 24 janvier 1920.
Jeanne, à nouveau enceinte, retourne désespérée chez ses parents. Echappant à la vigilance de son frère André, elle se défenestre, se jetant du cinquième étage. Elle meurt deux jours après l’homme qu’elle aimait, le 26 janvier 1920. Modigliani n’aura pas eu le temps de l’épouser…
Informations pratiques
Modigliani, le peintre et son marchand. Jusqu’au 15 janvier 2024.
Musée de l’Orangerie. Jardin des Tuileries. 75001 Paris. Tél. : 01.44.50.43.00. Fermé le mardi. Ouvert le lundi et du mercredi au dimanche de 9h à 18h. Billetterie : https://billetterie.musee-orangerie.fr/fr-FR/accueil-orangerie
Encore une belle occasion de vous retrouver, de vous rencontrer, d’échanger avec vous, mes petits papoteurs. Vos commentaires sont toujours les bienvenus ici. Passez du bon temps en Armorique et ailleurs !