« Je suis quasiment sûr que nous avons à faire à un serial killer. Pardon ? Je crois que nous avons à faire à un serial killer. Un quoi ? Un serial killer. Un ? Un serial killer… Un tueur en série. Ah ! Un serial killer ! » (Citation extraite du film La Cité de la Peur)
Au début du 19ème siècle, la Bretagne est au paroxysme de la pauvreté, accablée par les régimes autoritaires de la Première République et du Premier Empire. Le tout-puissant clergé exerce son influence sur tout le territoire breton qui se meurt dans un marasme économique qui n’en finit pas. Un territoire où l’on parle le Breton, pas le Français. Une province où les contes et légendes terrorisent les habitants de villages souvent reculés dans la campagne…
Naissance de Fleur de Tonnerre, une enfant qui voulait être aimée
En 1803, Hélène Jégado voit le jour à Plouhinec près de Lorient (Morbihan). Enfant choyée par un père généreux, elle est malmenée par une mère cruelle au cœur sec. Elevée dans cette famille de cultivateurs pauvres appartenant à l’ancienne noblesse, elle se singularise très jeune, se nourrissant des légendes de la Basse-Bretagne. Depuis sa naissance, sa mère se plait à la tyranniser, lui racontant sans cesse la légende de l’Ankoù, qui viendra la chercher avec sa charrette pour l’emmener vers les ténèbres.
Passionnée de légendes, et pour que vous compreniez mieux la personnalité d’Hélène Jégado, j’ai récemment consacré un article à l’Ankoù, ce serviteur de la Mort.
Une enfance chaotique
Mieux connue sous le pseudonyme que lui avait donné sa marâtre de mère, « Fleur de Tonnerre » (fleur cueillie dans la Lande), la fillette en souffrance pousse, tant bien que mal. Enfant isolée, rejetée par les enfants de son âge qui voient en elle une sorcière, malmenée par la vie et bercée par le morbide, elle devient rapidement l’incarnation de ce personnage légendaire qu’elle apprivoise pour mieux surmonter ses angoisses de petite fille.
Elle confessera d’ailleurs à la veille de son exécution le 26 février 1852 « Quand les parents ont peur, ils font peur aux enfants et ne peuvent plus les protéger« , « Je suis devenue l’Ankoù pour surmonter mes angoisses« .
Le parcours d’une empoisonneuse qui pensait faire le bien
A la mort de sa mère qu’Hélène empoisonne à la Belladone, la petite fille n’a que sept ans. Elle a appris à broyer méticuleusement les petites boules noires cueillies dans la Lande, qu’elle dilue dans la soupe de sa mère. La recette est fatale !
Ruiné, fatigué, voulant vendre la ferme, son père décide alors de l’envoyer chez sa Marraine, domestique dans un presbytère de Bubry (Morbihan).
Chronologie meurtrière
Prenons, comme l’a fait Hélène, notre bâton de pèlerin et notre cabas pour suivre, de village en village, à travers toute la Bretagne, cette « multi cartes du crime« , une appellation justement trouvée par l’écrivain Jean Teulé qui lui a consacré un magnifique ouvrage, publié en 2013 chez Julliard, « Fleur de Tonnerre« , qui sera d’ailleurs adapté au cinéma en 2016, avec dans le rôle d’Hélène Jégado, Déborah François et dans celui de Mathieu Véron, Benjamin Biolay.
1810 marque le début de sa longue carrière de criminelle. Arrivée au presbytère de Bubry, elle devient domestique, « bonne à tout faire« , chaperonnée par sa bienveillante marraine. Cuisinière en herbe d’un drôle de genre, c’est à l’arsenic qu’elle parfume ses gâteaux et assaisonne ses soupes. Et c’est ainsi que bien involontairement, elle empoisonne sa tante…
Il faut savoir que l‘arsenic était un poison que l’on trouvait dans tous les foyers, notamment les presbytères et maisons bourgeoises. La poudre blanche conservée en fiole servait à dératiser les habitations alors envahies par ces embarrassants rongeurs. La mort aux rats de l’époque en quelque sorte !
De 1810 à 1849, Fleur de Tonnerre parcourt la Bretagne d’Auray à Hennebont en passant par Locminé, Gern, Lorient, Port-Louis et Pontivy. Elle laisse dans son sillage de cuisinière meurtrière les défunts qu’elle s’est scrupuleusement attelée à empoisonner. Cette Serial killer habitée par l’Ankoù tue sans colère, sans sélection préalable. Elle tue parce qu’il le faut… et ça fait froid dans le dos !
Fleur de Tonnerre tue sans colère… Elle tue parce qu’il le faut !
A Trédarzec (près de Tréguier – Côtes d’Armor), elle se débarrasse de son premier amant, un naufrageur (pilleur d’épaves), le noyant avec une ancre solidement attachée à son corps. L’homme n’avait d’autre choix que de mourir mais… il ne fut pas empoisonné !
A Locminé (Morbihan), alors qu’elle est au service d’un médecin, le docteur Toussaint, elle le tue ainsi que ses père, mère et domestique.
Parmi ses crimes les plus commentés, celui du prêtre Le Drogo à Guern (Morbihan) en 1833. Dans son presbytère, du 28 juin au 3 octobre 1833, sept personnes décèdent dans d’atroces souffrances, parmi lesquelles Anna Jégado (sa sœur), et les parents du prêtre. Les médecins pensent alors à une épidémie.
Hélène continue sa route, d’employeur en employeur. Cette femme pieuse et discrète séduit les villageois qui voient en elle une domestique sérieuse et bienveillante… mais l’habit ne faisant pas le moine, l’empoisonneuse se sait maudite. « La mort me suit« , dira-t-elle sans cesse…
A Pontivy, le maire de la ville engage Hélène comme cuisinière. Très mauvais choix car rapidement, le fils de l’élu, Emile Jouanno, meurt à quatorze ans, après de très violents vomissements. La servante meurtrière ne ménage alors pas sa peine. Elle reste, dévouée, au chevet de l’enfant… mais rien à faire. Après son passage, Pontivy compte sept nouveaux décès.
A Auray, aucun crime. L’empoisonneuse fulmine. N’ayant pas réussi à obtenir la place de cuisinière au sein du Couvent du Père Eternel où elle est entrée comme domestique, elle se venge en découpant avec une implacable méthode, les habits des sœurs de la congrégation. Renvoyée par la Mère Supérieure, elle ne pourra plus jamais officier auprès de personnalités religieuses.
Fleur de Tonnerre rencontre enfin l’amour
C’est dans une maison bourgeoise qu’elle rencontre l’amour en la personne de Mathieu Véron.
L’homme est marié mais qu’importe… Fleur de Tonnerre a plus d’un tour dans ses petites fioles pour remédier au problème. La charmante Madame Véron s’éteint brusquement. A l’époque, le médecin diagnostiquera une crise de choléra (une épouvantable épidémie sévissait à cette époque en Bretagne).
La place est libre, Hélène et Mathieu peuvent s’aimer, s’aimer véritablement, sans obstacle… Mais la jeune femme souffre dans tout son être. Habitée par son encombrant partenaire l’Ankoù, elle doit lutter pour ne pas administrer à Mathieu sa petite dose fatale de mort aux rats. Un dilemme qu’elle résoudra en quittant la maison bourgeoise…
Elle s’enfuit pour atterrir à Port-Louis où un prêtre défroqué l’embauche dans son établissement d’un drôle de genre, un bordel militaire où Hélène sera à la fois cuisinière, hôtesse et prostituée. Elle a désormais 43 ans et ajoute encore cinq cadavres à son palmarès.
Un soupçon de poudre blanche, entendez arsenic, et hop, comme il est aisé de passer de vie à trépas !
En 1849, Hélène pose son cabas à Rennes. Devenue cuisinière confirmée, – « sa passion » – elle a désormais l’emploi idéal pour agrémenter les plats de ses victimes de la mortelle arsenic.
Embauchée à l’Hôtel du Bout du Monde, elle retrouve ses cuisines dans un esprit de relative tranquillité, sa macabre réputation n’ayant pas encore franchi les pourtours de la grande ville. Lorsqu’une autre domestique, Pérotte Macé, décède dans de drôles de circonstances, Hélène doit à nouveau fuir.
Suicide ou ultra provocation
C’est la question que se pose l’écrivain Jean Teulé dans l’ouvrage qu’il a consacré à la plus grande tueuse en série du 19ème siècle. Envie d’en finir, d’être démasquée ou provocation ultime en bravant le danger ?
En 1850, le juge Théophile Bidard de la Noé lui confie la responsabilité de sa cuisine. Erreur fatale ! Hélène, probablement lasse de cette vie d’errance meurtrière, y exercera malgré tout ses talents de cuisinière à l’arsenic. Rose Tessier et Rosalie Sarrasin, toutes deux femmes de chambre, décèdent successivement en novembre 1850 et juillet 1851.
Les médecins, plus avisés et compétents dans la grande ville que dans les campagnes, diagnostiquent un empoisonnement. Ils en informent alors le Procureur de la République, Monsieur du Boban.
Un procès sans concession
Le 6 décembre 1851 s’ouvre à Rennes le procès de celle que les Bretons ont surnommée « La sorcière de Bretagne ».
Hélène nie farouchement et en bloc les faits qui lui sont reprochés : trois meurtres et trois tentatives de meurtre. Osé de sa part car au jour du 6 décembre 1851, l’empoisonneuse en avait officiellement commis trente sept. Les corps exhumés et analysés désignent irrémédiablement Hélène comme coupable. Les autorités qui ont retrouvé de l’arsenic dans son cabas la condamnent à la peine de mort. Elle a quarante huit ans.
Clap de fin
La sentence est exécutée le 26 février 1852. Hélène est guillotinée sur le Champ de Mars de Rennes. La meurtrière se reconnaîtra enfin coupable des fautes qui lui sont reprochées. Gardant un « petit souvenir » de chacune de ses victimes qu’elle aura tressés en couronne, elle dira « J’ai porté le deuil et la désolation dans beaucoup plus de familles« .
Elle aura en effet inscrit au moins soixante décès à son palmarès… ce qui fait d’Hélène Jégado non seulement la première « Serial Killeuse » de Bretagne mais aussi la plus grande meurtrière du début du 19ème siècle.
Références
Pour écouter ou ré-écouter sur RTL la chronique de Jacques Pradel L’Heure du Crime du 7 mars 2013, cliquez ici
A lire ou relire : FLEUR DE TONNERRE de Jean Teulé. Disponible chez Julliard et en Livre de Poche